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vincentkappeler3

Texte paru dans l'Almanach du Tastevin, éd. D'en Bas


In Vino Veritas


- Ceci est mon sang.

- Ah oui effectivement. J’ai d’abord cru que vous portiez un monocle mais en fait non, c’est une croûte qui entoure votre œil gauche. Vous avez dû vous endormir sur votre verre de Saint-Saphorin, la tête d’abord en équilibre et puis le pied a subi la loi de l’attraction terrestre et le poids de votre sommeil. Cela vous donne une allure noble et une prestance que peu d’hommes possèdent. On a envie de vous poser les questions auxquelles nous n’avons jamais reçu de réponses. Pouvez-vous me dire par exemple quand Monique finira par rentrer ? Cela fait quand même longtemps qu’elle est partie et le jeu a assez duré. Sauriez-vous peut-être où est passée la pièce manquante du puzzle sur lequel je m’acharne depuis six mois et qui représente le Château de Chillon ? Je n’ose l’accrocher au mur dans ces conditions. Comment vous y prendriez-vous pour voler une voiture et la faire démarrer ? Monique n’est pas partie en bus et je suis si fatigué de marcher.

- Y a-t-il des pistes cyclables au paradis ? interrompit un curieux. Je me sens bien incapable de me séparer de mon vélo.

- Qui a décrété qu’il fallait évoluer alors qu’on pouvait continuer à se la couler douce ? intervint un nouveau venu.

Tous attendirent des réponses.

- Ceci est mon sang, répéta l’homme sans lever la tête.

- Pourquoi pardonner quand on possède un taser ? reprit le curieux.

- Que dois-je faire des robes de Monique qui trainent encore dans l’armoire ?

- Pourquoi la pluie était-elle venue gâcher le jour de mon mariage ?

L’homme introduisit son œil droit à l’intérieur du verre à pied devant lui comme pour mieux observer le liquide qu’il contenait. Les questions cessèrent le temps de l’observation.

- Vous pensez que Monique ne va jamais revenir ?

- Oui, j’en suis certain.

- Comment le savez-vous ?

- Je le lis dans mon sang.

- Y a-t-il des pistes cyclables au paradis ?

- Non.

- Me conseillez-vous de vendre mon vélo avant de mourir ?

- Je m’en fous, faites ce que vous voulez.

- J’ai l’impression que vous vous trompez à propos de Monique, vous permettez que je lise à mon tour dans votre sang ?

- Non.

- Pourquoi ai-je dû attendre le crépuscule de mon mariage pour découvrir que je tenais à ma femme ?

- Vous vous étiez trop longtemps égaré dans mon verre, votre ombre y patauge encore, tenez, regardez vous-même.

L’homme se redressa et céda sa place au veuf.

- Je ne vois rien, dit celui-ci.

- Essayez encore.

Le veuf donna l’impression de vouloir s’introduire tout entier dans le verre. Le pied céda sous la pression et le vin se répandit sur la nappe. Il y vit son reflet patauger dans le désarroi. L’homme paya l’addition et s’en alla.

Il n’y a pas de place pour les pistes cyclables au paradis, les routes y sont trop étroites.

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